Les aventures musicales de deux potes

Les aventures musicales de deux potes

samedi 25 mars 2017

Wendy Carlos - Switched-On Bach (1968)


  Cette semaine, les débuts de la musique électronique sont à l'honneur sur La Pop d'Alexandre & Etienne, avec un album par jour présenté jusqu'à dimanche dans le cadre de notre deuxième édition de La Semaine De La Pop.


     Le deuxième disque que je vous propose cette semaine digresse à première vue la thématique, puisque c'est de J.S. Bach dont il est question, mais dans une interprétation des plus singulières, aux origines des synthétiseurs modualaires et de l'histoire passionnante de la musique électronique.



     Cet album, c'est le fruit d'une musicienne, compositrice et ingénieure de talent. Née Walter Carlos dans le Rhode Islande aux Etats-unis, elle brille très vite par ses qualités musicales, mais aussi par son esprit scientifique développé, qu'elle traduira par une passion de la physique et de l'électronique, la menant à construire, au début des années 50, son propre ordinateur, à l'âge de 14 ans seulement. La menant à de brillantes études de composition musicale et de physique adaptée à la musique. C'est par ce biais qu'elle vit les débuts de la musique électronique à New-York, au sein du Columbia-Princeton Computer Music Center, équivalent outre manche du groupe de recherches musicales (GRM). Elle y rencontrera Robert Moog au début des années 60, alors en pleine élaboration de son fameux premier synthétiseur modulaire du même nom, dont elle participera à la conception.



     C'est ainsi qu'elle eu l'idée, avec la productrice Rachel Elkind-Tourre, d'enregistrer pour premier album en 1968 des reprises de compositions de J.S. Bach, dont entre autres le concerto Brandebourgeois, jouées au tout récemment commercialisé synthétiseur modulaire Moog. Elle ambitionne ainsi de mettre en valeur l'instrument ici en solo uniquement et d'initier le grand public, par des airs connus de tous, à la musique électronique, alors inconnue ou cantonnée à une simple curiosité. Ainsi, à l'opposé de la musique concrète, cette musique électronique se veut mélodique et abordable.

     La pochette originale ici présentée et modifiée par la suite, car jugée provoquante, ne laisse pas indifférente, montrant une évocation de Bach en habit d'époque, devant un sythétiseur Moog, pareil à un l'orgue. Un même humour anachronique que l'on retrouve dans le titre de l'album.

     C'est alors le miracle, le disque jouit dès sa sortie d'un énorme succès au près du public, recevant très vite le disque d'or, trônant à la 10 ème place du Bilboard 200 US et siégeant 3 ans consécutifs à la 1ère place de la section musique classique de ce même classement. En 1986, il deviendra même le premier disque de musique classique certifié de platine. Le succès est aussi critique, puisque l'album remporte 3 Grammy Awards dans la section classique en 1969, celui de l'album de l'année, de la meilleur performance et du meilleur ingéneur son.  

     D'un point de vu musical, Wendy Carlos prend parti des qualités et défauts de l'instrument. Là où le nombre de touche jouable simultanément est limité, elle compense par la composition en contrepoint de J.S. Bach, proposant plusieurs couches de synthétiseurs aux effets variés. Les sonorité, elles, rappellent étrangement celles du clavecin par l'acidité sonore des premiers synthétiseurs. Le son est aujourd'hui très old-school, low-fi et la production y manque un peu de richesse et de profondeur, mais au-delà il a gagné les fruits de la richesse du temps et de l'histoire tant cet album est précurseur en son domaine.


Wendy Carlos das son studio en 1970 
     Walter Carlos, profita alors des larges bénéfices récoltés grâce aux royalties des ventes de son album pour effectuer un changement médico-chirurgical d'identité sexuelle et ainsi devenir Wendy Carlos. Cette période de transition personnelle au vécu difficile, la plongea dans un repli social l'empêchant de promouvoir son premier vinyle. Elle alla même jusqu'à refouler à sa porte de nombreuses stars musicales venues rencontrer le phénomène, tels Stevie Wonder et Mick Jagger, rien que ça !

     Alors même que Switched-On Bach passa relativement inaperçu en France, il faut vraiment prendre conscience que le retentissement de cet album sur la suite de l'histoire de la musique électronique est majeur. C'est réellement le premier album de musique électronique à obtenir un disque d'or. Beaucoup ne prirent conscience de l'existence d'un tel instrument qu'à partir de cet album, à l'instar de Gorgio Moroder qui l'explique dans une interview de 2013 pour RedBull Music Academy. Le succès et le phénomène furent tels, qu'il devient le meilleur argument commercial de Moog qui vit, grâce à l'album, exploser la vente de ses synthétiseurs modulaires, comme si il était possible à chacun de sortir un disque d'or en jouant de la musique classique à partir de musique électronique. Ironie de l'histoire, cette explosion ne fut malheureusement pas au bénéfice de Robert Moog qui venait de vendre son entreprise en faillite, alors même qu'elle allait vivre son âge d'or. Il ne tira pas non plus bénéfices de la sortie en 1971 du mythique mini Moog qui démocratisa les synthétiseurs modulaires, facilitant grandement leur utilisation, tout en les rendant plus compact et transportables. 


Robert Moog avec au premier plan un mini Moog

     C'est un des ingénieurs de Robert Moog qui eu l'idée, pour simplifier l'instrument, de concevoir des prépatch accessibles par de simples potentiomètres disposés sur un fameux panneau frontal inclinable, plutôt que de relier manuellement chaque module par des câbles jack, tel les vieux standards téléphoniques. Pour l'ancdote, la taille et le fait que le clavier commence par la note fa tiennent uniquement à la conception du prototype à partir d'un clavier brisé en deux de telle manière, pris à la casse de l'usine. D'où la disposition de nombre de synthétiseurs analogiques encore aujourd'hui !  

     La suite de l'histoire, tout le monde la connaît, c'est en 1971 la BO d'Orange Mécanique de Stanley Kubrick  avec la fameuse interprétation de The Funeral Queen Mary de Henry Purcell


     D'autres albums suivront, dont Switched-On Bach II en 1974. Elle composera aussi en 1980 la BO de The Shining, toujours pour le même réalisateur, au sein duquel ses chats participeront au tournage et celle de Tron en 1982 pour Disney.



     Par l'histoire passionnante de Wendy Carlos et de Switched-On Bach, on comprend donc l'importance de cet album dans l'histoire de la musique électronique et son caractère hors normes dans la musique classique, puisqu'aucun, aujourd'hui encore, ne s'est vendu à autant d'exemplaires. Bach n'aura jamais eu autant de succès qu'interprèté par le synthétiseur modulaire de Wendy Carlos !


     Il n'est malheureusement pas possible d'écouter Switched-On Bach en streaming, mais vous pouvez vous référé à des fidèles interprétations faites à la manière de Wendy Carlos et disponible sur YouTube.



Pour en savoir plus: 
Le site officiel de Wendy Carlos, rempli d'informations et de détails historiques
Au sujet du Computer Music Center
Sur Moog


Merci pour votre lecture,




Etienne


Le post-scriptum d'Alexandre :


  Venu à cet album par le biais d'une double passion pour Orange Mécanique (et Kubrick en général) et pour les musiques électroniques, cet album me tient à coeur pour plusieurs raisons. D'abord, subjectivement c'est un album que j'adore, pour les découvertes artistiques qui y sont liées, et indépendamment de celà, à l'écoute ça passe toujours aussi bien. 

  Mais surtout car Wendy Carlos, grâce à sa forte personnalité et à son intelligence frisant le génial, arrive à réaliser une double transgression. D'un côté, elle anoblit la musique électronique en y jouant des oeuvres classiques (et par là popularise le classique), et d'un autre avec ces sons très pouet pouet elle casse le côté snob du truc et lui confère à la fois un côté naïf, ludique et premier degré qui me parle totalement, et une ironie mordante d'une folle perspicacité. Ce côté pompeux et solennel est désamorcé par l'humour de l'ensemble dès "Sinfonia To Cantata" jusqu'à "Jesu, Joy Of Man's Desiring", qui me ferait presque rentrer dans une église si je n'avais pas peur de prendre feu en passant la porte. Ce qui n'empêche pas l'émotion (cf "Air On A G String"). C'est une oeuvre d'esthète, de scientifique et d'artiste fou, piquante, instruite et folle à la fois. 

  C'est aussi un album précurseur. En exagérant un peu, on pourrait par association d'idées fumeuses se poser certaines questions aussi inutiles que (peut-être, qui sait?) pertinentes... Imagine-t-on Yellow Magic Orchestra (et toute la synthpop) sans "Two Part Invention In F Major" ? La musique des Zelda ou Pokémon sans "Two Part Invention In B-Flat Major" ? L'acid-house sans "Two Part Invention In D Minor" ? Les morceaux down-tempo de Discovery des Daft Punk sans "Prelude And Fugue #7 in E-Flat Minor" 

  Et puis l'intro de "Prelude And Fugue #2 in C-Minor" c'est "Stress" de Justice, tout l'électroclash (Bloody Beetroots & cie, vous vous souvenez ? D'ailleurs les BB avaient un penchant électro + classique aussi) avec 40 ans (!) d'avance. Et le concerto final, c'est quasiment du Emerson Lake & Palmer en moins digressif. 

  Tout ça est extrapolé et exagéré  j'en conviens. Et pourtant, je crois que dans un sens, tout est vrai. Car comme l'a dit Etienne, cet album a connu un succès colossal, et il a sans doute participé à imposer ces sons hyper inhabituels dans les oreilles des masses à l'époque, et ainsi à faire avancer la cause des musiques synthétiques et électroniques, à sa façon bien à lui.

  Bref, c'est un album important car il est bon (déjà), il est important (dans l'histoire de l'électro et de la musique tout court), impertinent, personnel, drôle et influent à la fois.

PS du PS : psssst.... venez voir par là et tentez l'écoute sur un site de streaming asiatique de derrière les fagots... (disparaît dans la ruelle mal éclairée)

Alex




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